Jean-Paul Sermain,
« La fin de Don Quichotte. Une troublante leçon pour les romanciers français du xviiie siècle (Marivaux, Rousseau, Diderot, Laclos) », Cervantès et la France, Mélanges de la Casa Velazquez, n° 37-2, Madrid, 2007, p. 51-59.

L’hypothèse de départ de cet article est que la réception de Don Quichotte, ici par les romanciers français du xviiie siècle, permet de mieux cerner les questions que l’ouvrage pose à ses lecteurs. Pour ce faire, J.-P. Sermain s’intéresse à un passage très problématique du roman de Cervantès, celui de la mort du héros.

Ce passage bouleverse l’économie du roman, fondé sur la contradiction entre le point de vue du personnage principal et le point de vue que le texte porte sur ce même personnage. Cet ultime épisode met en place une conclusion qui réconcilie ces deux regards mais qui, si on la prend au sérieux, annule l’ensemble du roman : don Quichotte condamnant ses erreurs et sa folie condamne du même coup ses aventures et leur récit.

Pour échapper à ce paradoxe, J.-P. Sermain propose une autre interprétation : si l’on veut tenir compte de la mort du héros sans condamner le lecteur du roman, et rendre par là même toute lecture impossible, il faut considérer que le propos de l’œuvre ne doit pas être confondu avec le destin du personnage. La fin du livre ne constitue pas une conclusion et n’a pas d’importance particulière. La vie de don Quichotte n’est pas une fable, interprétable rétrospectivement à partir de sa conclusion. En écartant cette possibilité d’une lecture de fable, le traitement de la mort du héros par Cervantès construirait un mode de lecture spécifique. Cette hypothèse est confirmée par la critique du roman picaresque présente dans le Don Quichotte, en particulier dans les dialogues du héros avec le brigand.

Pour étudier la manière dont les auteurs du xviiie siècle répondent au problème posé par la mort du personnage principal chez Cervantès, J.-P. Sermain choisit de s’intéresser à quatre romanciers – Marivaux, Rousseau, Diderot et Laclos – qui accordent une place essentielle à la contradiction entre le point de vue du personnage et celui que le texte porte sur lui et d’étudier, en particulier, la manière dont ils terminent leurs romans.

Marivaux et Diderot, qui se réclament tous deux du Don Quichotte, refusent radicalement toute forme de conclusion. Diderot, dans Jacques le fataliste et son maître, met en scène la possibilité de modifier à tout moment le cours du récit, voire d’abandonner un personnage sans fournir d’explication. Marivaux cultive l’inachèvement. L’un comme l’autre ôte aux acteurs de la fiction la possibilité de fixer le sens de l’œuvre.

La Nouvelle Héloïse et Les Liaisons dangereuses se caractérisent par des choix opposés et se terminent par des épisodes forts, qui peuvent avoir valeur de conclusion. Pourtant, comme dans le cas du Don Quichotte, cette conclusion n’est pas tenable. Si le lecteur prend au sérieux le châtiment final des débauchés des Liaisons dangereuses ou l’échec de la vie commune à Clarens, il est amené à refuser l’ensemble du récit qui précède, dénoncé comme trompeur. Si, au contraire, il veut préserver la possibilité d’une lecture légitime, il doit se détacher du point de vue des personnages et adopter un mode de lecture qui saisisse l’ensemble des moments du roman pour les considérer chacun comme l’expression d’une manière de saisir le monde.


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[ Fiche de lecture: Marine Roussillon]