Scarron, Roman comique, Première partie (1651), chapitre XXI
Ed. Jean Serroy, Gallimard, 1985, p. 165-166

« De la comédie on vint à parler des romans. Le conseiller dit qu’il n’y avait rien de plus divertissant que quelques romans modernes ; que les Français seuls en savaient faire de bons, et que les Espagnols avaient le secret de faire de petites histoires, qu’ils appelaient Nouvelles, qui sont bien plus à notre usage et plus selon la portée de l’humanité que ces héros imaginaires de l'antiquité qui sont quelquefois incommodes à force d'être trop honnêtes gens ; enfin, que les exemples imitables étaient pour le moins d’aussi grande utilité que ceux que l’on avait peine à concevoir. Et il conclut que, si l’on faisait des nouvelles en français aussi bien faites que quelques-unes de celles de Michel de Cervantes, elles auraient cours autant que les romans héroïques ; Roquebrune ne fut pas de cet avis. Il dit fort absolument qu’il n’y avait point de plaisir à lire des romans s’ils n'étaient composés d’aventures de princes, et encore de grands princes, et que par cette raison-là l’Astrée ne lui avait plu qu’en quelques endroits. Et dans quelles histoires trouverait-on assez de rois et d’empereurs pour vous faire des romans nouveaux ? lui repartit le conseiller. Il en faudrait faire, dit Roquebrune, comme dans les romans tout à fait fabuleux et qui n’ont aucun fondement dans l’histoire. Je vois bien, repartit le conseiller, que le livre de don Quichotte n’est pas trop bien avec vous. C’est le plus sot livre que j’aie jamais vu, reprit Roquebrune, quoiqu’il plaise à quantité de gens d’esprit. Prenez garde, dit Le Destin, qu’il ne vous déplaise par votre faute plutôt que par la sienne. Roquebrune n’eût pas manqué de repartie s’il eût ouï ce qu’avait dit Le Destin ; mais il était occupé à conter ses prouesses à quelques dames qui s’étaient approchées des comédiennes, auxquelles il ne promettait pas moins que de faire un roman en cinq parties, chacune de dix volumes, qui effacerait les Cassandre, Cléopâtre, Polexandre et Cyrus, quoique ce dernier ait le surnom de grand, aussi bien que le fils de Pépin. »

 

Retour haut de page
Retour à "Archives"