« De
la comédie on vint à parler des romans. Le conseiller dit
qu’il n’y avait rien
de plus divertissant que quelques romans modernes ; que les
Français seuls
en savaient faire de bons, et que les Espagnols avaient le secret de
faire de
petites histoires, qu’ils appelaient Nouvelles, qui sont bien
plus à notre
usage et plus selon la portée de l’humanité que ces
héros imaginaires de
l'antiquité qui sont quelquefois incommodes à force
d'être trop honnêtes
gens ; enfin, que les exemples imitables étaient pour le
moins d’aussi
grande utilité que ceux que l’on avait peine à
concevoir. Et il conclut que, si
l’on faisait des nouvelles en français aussi bien faites
que quelques-unes de
celles de Michel de Cervantes, elles auraient cours autant que les
romans
héroïques ; Roquebrune ne fut pas de cet avis. Il dit
fort absolument
qu’il n’y avait point de plaisir à lire des romans
s’ils n'étaient composés d’aventures
de princes, et encore de grands princes, et que par cette
raison-là l’Astrée
ne lui avait plu qu’en quelques endroits. Et dans quelles histoires
trouverait-on assez de rois et d’empereurs pour vous faire des romans
nouveaux ? lui repartit le conseiller. Il en faudrait faire, dit
Roquebrune, comme dans les romans tout à fait fabuleux et qui n’ont aucun
fondement dans l’histoire. Je vois bien, repartit le conseiller, que le livre
de don Quichotte n’est pas trop bien avec vous. C’est le plus sot livre que j’aie
jamais vu, reprit Roquebrune, quoiqu’il plaise à quantité de gens d’esprit.
Prenez garde, dit Le Destin, qu’il ne vous déplaise par votre faute plutôt que
par la sienne. Roquebrune n’eût pas manqué de repartie s’il eût ouï ce qu’avait
dit Le Destin ; mais il était occupé à conter ses prouesses à quelques
dames qui s’étaient approchées des comédiennes, auxquelles il ne promettait pas
moins que de faire un roman en cinq parties, chacune de dix volumes, qui
effacerait les Cassandre, Cléopâtre, Polexandre et Cyrus, quoique
ce dernier ait le surnom de grand, aussi bien que le fils de
Pépin. »