Carme Riera*,

El Quijote desde el nacionalismo catalán. En torno al Tercer Centenario

Barcelone, Destino, n° 68, 2005.


Dans cet ouvrage court et fort bien documenté mais dont on regrettera parfois le manque de rigueur , Carme Riera propose une revue des articles parus dans la presse barcelonaise en 1905 à l’occasion des célébrations du tricentenaire de la publication du premier tome du Quichotte. Elle démontre à quel point les différents débats suscités par cet événement dépassent le domaine de la littérature. Dans un contexte où le nationalisme catalan est à son faîte, les publicistes barcelonais questionnent le bien-fondé des hommages rendus à un auteur et à une œuvre qui symbolisent l’âge d’or de la littérature castillane.


I. Autour du Quichotte


1. Au sujet de l’œuvre


Carme Riera constate que les publications érudites sont peu nombreuses et que les spécialistes du Quichotte concentrent leurs efforts sur l’élaboration de nouvelles éditions du texte, et négligent d’apporter des analyses novatrices sur des aspects concrets de l’œuvre. Le cervantologue Clemente Cortejón se contente d’écrire un article « Coro de alabanzas en honor a Cervantes »1 dans lequel il compare don Quichotte et Sancho à Achille et Ulysse pour parvenir à la conclusion que Cervantès est bien plus célèbre qu’Homère. Joan Ginavel, un autre spécialiste, publie un extrait d’une conférence donnée un an plus tôt « La biblioteca caballeresca de don Quijote » sous le titre de « Els vensut y’l vencedor » où il identifie les caractéristiques de don Quichotte à celles des Espagnols, dans lesquels il s’inclut, contrairement à la grande majorité des Catalans :


Notre tempérament fougueux, nos illusions toujours chimériques, notre manière de penser, malheureusement au jour le jour, sont tout autant de raisons qui font que nous jouons un rôle bien triste dans le concert des nations européennes2.


En revanche, les publications autour de l’œuvre ont été plus nombreuses, notamment au sujet des différentes éditions du Quichotte. Dans la Ilustració Catalana, Francesch Carreras y Candí consacre en effet un article aux « […] éditions du Quichotte en Catalogne »3, cependant que Marcos Jesús Beltrán, dans La Vanguardia, écrit un texte intitulé « Livres de chevalerie. Une visite de la bibliothèque cervantine de Don Isidro Bonsoms », dans lequel il décrit rigoureusement les 634 éditions que cette collection contient4.

La réception des aventures du Chevalier Errant en Europe est l’autre sujet qui intéresse les journaux conservateurs qui consacrent plusieurs articles aux éditions étrangères du Quichotte. Ainsi, dans le numéro de janvier de La Ilustración Artística, Ignacio Dublé reproduit les couvertures des différentes éditions princeps européennes et titre « Premières éditions en langues européennes de Don Quichotte de la Manche »5.

Toutefois, le rôle de la presse n’étant pas de réunir quantité de collaborations érudites mais bien de tendre à la vulgarisation scientifique, les journaux organisent des concours littéraires sur des thèmes aussi variés que « Notes critiques à propos du chapitre LXI de la seconde partie, De ce qui arriva à don Quichotte à son entrée dans Barcelone, avec d’autres choses qui tiennent plus du vrai que de la raison » ou encore «  Cervantès a-t-il vécu à Barcelone ? Quand ? »6 (El Noticiero Universal). La Esquella de la Torratxa propose, elle, à ses lecteurs d’imaginer une « Visite de don Quichotte de la Manche dans la Barcelone actuelle »7.


2. Au sujet de l’auteur


On trouve parallèlement de très nombreux articles consacrés aux épisodes les plus sensationnalistes de la biographie de Cervantès : ses séjours en prison et ses ennuis avec l’Inquisition au sujet de ses attaques contre Avellaneda dans la seconde partie de l’œuvre. Ces désagréments provoquent l’indignation de certains journalistes qui, comme Josep Roca dans La Campana de Gracia, s’élèvent contre une Espagne qui a toujours persécuté ses génies8.

L’autre question qui passionne la presse est celle de savoir si Cervantès était un bon catholique. Joachim Aymani, dans son « Don Quixote, anticlerical », essaie de démontrer, en citant abondamment le texte ou en rendant compte d’un certain nombre de faits, que don Quichotte n’avait rien d’un dévot, loin de là. Il observe en effet que le Chevalier Errant ne possède aucun livre de religion dans sa bibliothèque, qu’il n’entre jamais dans des églises, qu’il ne pratique pas le repos dominical et qu’il ne reconnaît d’autre dieu que Dulcinée, autant d’indices qui font dire à Joachim Aymani qu’incontestablement, Cervantès était un esprit indépendant9.


La revue catholique La Hormiga de Oro démontre exactement le contraire. Sebastián J. Carner écrit que Cervantès était un catholique très fervent, un fait que tant les spécialistes que les amateurs de l’œuvre refusent d’accepter. Cet aveuglement empêcherait donc, selon lui, que le plus grand écrivain en langue espagnole soit célébré en bonne et due forme, c’est-à-dire comme un chantre de l’Église et de la foi10.


3. Au sujet des personnages


Don Quichotte et Sancho, au même titre que leur créateur, attirent l’attention des grands critiques littéraires. L’opposition entre les deux héros est un thème récurrent dans les rares articles qui proposent une analyse un peu plus poussée de l’œuvre. Qu’ils le respectent ou le méprisent, tous les critiques s’accordent à dire que don Quichotte est infiniment supérieur à son écuyer qui symbolise, selon Federico Climent Terrer dans La Vanguardia, le peuple « toujours crédule, toujours mécontent et hébété »11. Dans le même numéro est publié un texte posthume de Josep Ixart qui se répand en critiques féroces à l’encontre de Sancho :


Pauvre Sancho qui lorsqu’il regarde les moulins voit des moulins, qui lorsqu’il regarde les troupeaux voit des troupeaux […] ! Il ne te reste même pas le plaisir d’être transporté, comme ton maître dans ces régions fantastiques et au milieu de ce panorama resplendissant, par la contemplation des hauts châteaux construits dans le brouillard […]12.


Le peintre et écrivain Santiago Rusiñol, pour sa part, oppose le « quichottisme » au « sancho-panchisme » et regrette que celui-ci ait réussi à s’imposer de façon aussi évidente dans la société espagnole, au point, écrit-il, que si don Quichotte ressuscitait, tous les Espagnols pourraient lui servir d’écuyer. Il appelle « Sancho-panchisme » la capacité des Espagnols à ne jamais s’engager dans quoi que ce soit, à ne jamais se distinguer les uns des autres, à surtout ne jamais s’interroger sur le fondement des choses, à ne jamais rêver en se perdant dans des livres de chevalerie, etc. Autrement dit, il confronte l’idéalisme du Chevalier Errant, dont l’Espagne est totalement dépourvue, au matérialisme de Sancho et des Espagnols en général13.

Toutefois, si Sancho semble, en ce début de siècle, s’attirer les foudres des intellectuels, son sort change du tout au tout après la Guerre Civile, où les poètes républicains renversent l’opposition : Gabriel Celaya écrira en effet, dans ses Cantos íberos, qu’il se sent plus proche de « Sancho-bueno, Sancho-pueblo » (« Bon Sancho, Sancho du peuple ») que des « señoritos hidalgos » (« hidalgos fils à papa »).



II. Les Catalans doivent-ils être de la fête ?


Au-delà de ces considérations, les journaux se divisent au sujet des festivités officielles: les Catalans doivent-ils prendre part aux célébrations organisées en l’honneur d’un auteur castillan ? Sur cette question, Carme Riera distingue trois catégories de publications : d’une part, les nationalistes modérées ou républicaines qui se montrent réticentes à l’idée de participer aux actes officiels tout en manifestant un profond respect pour l’auteur et pour son œuvre ; d’autre part, les nationalistes intransigeantes qui profitent de cette controverse pour exposer leurs thèses anti-espagnoles ; et enfin, les conservatrices qui se contentent de rendre compte, sans vraiment les commenter, des événements.



1. Être…


Pour des journaux comme La Veu de Catalunya, La Esquella de la Torratxa ou La Campana de Gracia, la participation aux festivités s’impose aux Catalans pour trois raisons. Tout d’abord, comme l’écrit Antoni Caret i Vida dans « El nostre amich Cervantes », parce que le Quichotte appartient depuis déjà fort longtemps au patrimoine littéraire mondial et n’est plus seulement une œuvre castillane. Ce premier roman en langue espagnole (comme aimait à le définir Cervantès lui-même) a été traduit dans de très nombreuses langues et presque tous les enfants du monde connaissent les aventures de l’Ingénieux Hidalgo de la Manche14. Dans La Esquella de la Torratxa, P.K. (pseudonyme de Josep Roca), ajoute que les Catalans seraient ingrats de ne pas rendre hommage à un auteur qui, bien que Castillan, a exalté dans toute son Œuvre la Principauté et tout particulièrement sa capitale dont il écrit, dans la Nouvelle Exemplaire Les deux jeunes filles, qu’elle est « la gloire des Espagnes »15.

D’autres, comme Petrus Bofill, estiment que l’hommage au Quichotte s’impose d’autant plus que Cervantès évite toute les villes de la monarchie espagnole, à l’exception de la capitale catalane où, de surcroît, don Quichotte recouvre la raison, ce qui doit être perçu comme un véritable éloge de la Principauté : « Don Quichotte est venu et c’est ici, après être tombé, qu’il a commencé à recouvrir sa raison perdue »16.

Petrus Bofill insiste en outre sur le rôle majeur de la culture catalane dans la genèse du Quichotte en émettant l’hypothèse selon laquelle Cervantès aurait été inspiré par sa lecture du grand roman de chevalerie valencien : Tirant lo Blanch. Il écrit qu’en effet, les personnages de Doña Rodriguez et la duègne Dolorida seraient, opine-t-il, des descendantes de la veuve Reposada et qu’Altisidora serait parente de Plaerdemavida. Il conclut que Cervantès a certainement lu le roman de Joanot Martorell en castillan sans savoir qu’il était valencien.


Néanmoins, les publicistes se montrent plus critiques à l’égard des modalités de célébration prévues par le gouvernement central qui, selon A. March (pseudonyme de Juli Francesc Gibernau), sont un simple divertissement organisé par des hommes politiques qui cherchent à faire taire les contestations. Dans son article « Entre ells », il imagine que, ressuscités, don Quichotte et Sancho décident de se rendre à la fête ; mais ils croisent en chemin Cervantès, lui aussi revenu d’entre les morts, qui leur recommande de rester à l’écart d’une fête qui ne sert que des intérêts extra-littéraires :


[…] la presse pour augmenter ses tirages, les écrivains pour étaler leur vanité insupportable, les corporations pour remplir leur maison de demoiselles, les demoiselles pour exhiber leurs charmes […]. Dans ce centenaire, nos figures ne sont rien d’autre que des prétextes, des excuses, des écrans derrières lesquels on cache la frivolité, la superbe, l’ignorance et les envies de fanfaronner et de s’amuser. Ni plus ni moins17.


En d’autres termes, malgré le respect que ces journaux affichent pour Cervantès et pour son chef-d’œuvre, le tricentenaire officiel devient un prétexte pour exprimer des critiques acerbes à l’encontre du gouvernement qui est accusé d’avoir organisé toutes ces manifestations culturelles dans l’unique intention de divertir l’opinion publique et lui faire oublier les problèmes politiques, économiques et sociaux.


2. … ou ne pas être ?


D’autres revues, en revanche, vont plus loin dans leurs vitupérations et considèrent que don Quichotte et Cervantès sont espagnols et que, par conséquent, les Catalans n’ont pas à prendre part aux célébrations. Les articles publiés dans des revues comme ¡Cu-Cut! ou La Tralla se caractérisent par un anti-espagnolisme exacerbé.

Pep de la Tralla, dans un poème intitulé « Els Quixots », écrit des Espagnols, comprenez les Castillans, qu’ils sont orgueilleux, stupides et vaniteux, comme l’a bien démontré, selon lui, le Désastre de 189818.

Lleixiu écrit dans la revue satirique ¡Cu-Cut! que la pâmoison des Castillans devant le Quichotte est une preuve supplémentaire de leur bêtise : comment en effet peuvent-ils rendre hommage à un auteur qui a tiré d’eux un portrait aussi peu flatteur en mettant en scène un personnage ingénu, irréaliste et dépourvu de raison ? Il ne fait aucun doute, selon lui, que les Castillans ont répété tout au long de l’histoire les même erreurs que don Quichotte et il exprime par ailleurs ses craintes que l’esprit des Catalans ne finisse par être contaminé. Il conclut son article par une injonction adressée à ses compatriotes : « Qu’ils se le gardent leur Quichotte ces Castillans »19.

Dans la même revue, le dessinateur Junceda réalise une caricature en diptyque dont la légende précise que


Lorsque don Quichotte est arrivé, nous l’avons invité à déjeuner (XVIIe siècle) Et aujourd’hui, il est encore à table en train de manger (XXe siècle)20.


par laquelle il entend souligner que depuis le XVIIe siècle, les Castillans ont toujours profité des ressources catalanes pour financer leur économie et leur politique.


III. Don Quichotte et Cervantès, catalyseurs des critiques politiques : quelques exemples


1. La Guerre de Cuba


Le Quichotte devient surtout un moyen d’exprimer des critiques virulentes à l’encontre de l’État, de la société espagnole et de la monarchie par l’intermédiaire de pastiches et de caricatures. Les satiristes hostiles aux célébrations et aux hommages parodient les aventures de don Quichotte en les mettant en relation avec l’actualité politique et tout particulièrement avec la guerre de Cuba de 1898.

La Tralla offre, par exemple, un chapitre apocryphe de « l’Ingénieux Hidalgo don Quichotte de la Manche », sous-titré « Où il est question du plus grand exploit jamais accompli par l’Ingénieux Hidalgo don Quichotte de la Manche, maître des terres sur lesquelles le soleil ne se couche jamais »21. Cette satire anti-espagnole met en scène un don Quichotte paresseux, qui voit arriver un grand tourbillon de poussière épaisse du nord de l’Afrique qu’il prend pour un troupeau de porcs. Sancho le met en garde, car il ne s’agit pas de cochons, mais d’une armée américaine fort bien organisée qui vient envahir « notre territoire ». Persuadé de sa force, don Quichotte part en guerre contre les « yankees »22 à Cuba. Dans sa harangue, il utilise la même rhétorique que les hommes politiques espagnols peu avant la guerre contre les États-Unis :


L’honneur de la patrie est en danger et il nous faut lutter pour le défendre jusqu’à la mort. Nous devons prouver une fois encore que nous sommes bien les descendants de ce Cid conquérant qui fit trembler le monde ; il est impératif que vous répondiez à mon appel, car je suis prêt à donner jusqu’à ma dernière goutte de sang et jusqu’à ma dernière peseta23.


Mais à peine entré dans le port de la Havane, don Quichotte est attrapé par l’Oncle Sam qui lui donne un coup de pied aux fesses si fort que le Chevalier Errant survole l’Atlantique sans s’arrêter jusqu’à Madrid.


2. La politique intérieure


D’autres représentations de don Quichotte en homme âgé, arborant une longue barde blanche, à cheval en tenue de combat et accompagné de son fidèle écuyer qui, lui, apparaît comme un paysan aux allures niaises servent à contre-faire des ministres en les mettant en scène dans les deux plus célèbres épisodes de l’œuvre : celui du troupeau de moutons et celui des moulins à vent. Dans une caricature de La Tralla, Picarol figure un don Quichotte se lançant à l’assaut d’une armée de cœurs ensanglantés et derrière lui, apparaît un Sancho qui prend les traits de Villaverde, alors chef du gouvernement, qui lui crie « Attention seigneur, avec ces gens-là, vous risquez de vous faire mal ». En arrière plan, on distingue nettement la Tour Eiffel. Ce dessin est un écho au voyage d’Alphonse XIII à Paris, un déplacement officiel qui a fait grand bruit en 1905, puisque le roi a été chahuté par des ouvriers et des étudiants français qui protestaient par solidarité avec leurs camarades espagnols qui subissaient les conséquences économiques du Désastre de 1898.


3. Don Quichotte et Sancho, à la croisée des grandes idéologies politiques


Les récupérations politiques vont bien plus loin en réalité que les simples critiques des ministres ou des gouvernants. L’Œuvre, l’auteur et les personnages sont mis au service des grandes idéologies politiques de ce début de siècle.


Les anticléricaux représenteront don Quichotte comme une menace contre la laïcité. Pellicer Montseny, dans La Campana de Gracia, publie une caricature parodiant l’épisode des moulins à vent. On y voit un don Quichotte vêtu d’une soutane qui part à l’attaque de moulins sur les ailes desquels apparaissent distinctement les mots « liberté » et « république » et l’on croit deviner également « ordre » et « fraternité ». En guise de lance, il tient dans sa main droite une perche servant à éteindre les cierges, et des besaces que porte Rocinante dépassent des chapelets, un crucifix, une bulle papale et des scapulaires estampillés d’un Sacré Cœur. Le dessin est légendé par la phrase : « Je règnerai »24.


À l’inverse, plusieurs articles montrent que don Quichotte est aussi récupéré par les anarchistes. Alfredo Calderón fait paraître dans La Publicidad un article intitulé « Don Quijote anarquista » où il écrit que le Chevalier Errant, tout comme les anarchistes, condamne la propriété, nie l’État et exalte la liberté avant de conclure qu’il « ressemble à Zarathoustra, [et] que seul le Christ lui est supérieur dans son mépris de la réalité »25. Dans un texte de La Ilustración Obrera, Anselmo Lorenzo opine que c’est l’auteur qui aurait été anarchiste s’il avait vécu au XXe siècle26.


Enfin, pour beaucoup, don Quichotte représente, sur un tout autre plan, le symbole de la race espagnole par excellence. Comme les Espagnols, il est un homme qui idéalise la réalité, contrairement à Sancho qui accepte tout de celle-ci. Or, l’Espagne a besoin, selon Julio Camba, « d’hommes qui rêvent, d’hommes qui pensent, qui agissent »27. En revanche, dans les milieux nationalistes intransigeants, le Chevalier à la Triste Figure est considéré comme le symbole de la race castillane et non pas espagnole. À l’instar des Castillans, il est aventurier de caractère, il a une imagination débordante, mais il se caractérise également par son excès d’orgueil ridicule et par sa conviction qu’il est supérieur en tout et à tous. En cela, il incarne « parfaitement le caractère castillan »28. L’auteur de ce jugement, R., introduit cependant une nuance importante : don Quichotte est préférable à ces compatriotes en ceci qu’il était un redresseur de torts, alors que les Castillans ont toujours cherché à dominer et à opprimer les autres peuples.


4. Conclusion


Comme l’indique Carme Riera dès l’introduction de son travail, les articles parus à l’occasion du tricentenaire n’ont que peu à voir avec l’œuvre et son auteur et encore moins avec la littérature. La célébration du Quichotte devient très rapidement une occasion d’alimenter la confrontation politique entre Madrid et Barcelone, et don Quichotte devient un symbole politique malgré lui.

Cela étant, qu’ils aient été adulés ou bafoués, le Quichotte et Cervantès occupent encore en ce début du XXe siècle une place prépondérante dans la culture catalane, au point qu’en 1998, Francisco Rico n’hésitait pas à affirmer que « le Quichotte est et a été depuis le XVIIe siècle le livre préféré de la Catalogne ». Son jugement reposait sur la longue tradition des éditions barcelonaises de l’œuvre et, notamment, celle de 1617 qui avait été la première à réunir les deux parties des aventures du Chevalier Errant de la Manche. Les célébrations du quatrième centenaire en 2005 ont montré une fois de plus que l’œuvre n’était pas tombée dans l’oubli comme le craignait le Cervantès représenté dans une caricature de Picarol, parue dans La Campana de Gracia en 1905, qui, sur le point d’aller se coucher, disait : « Bonne nuit messieurs ; nous nous reverrons d’ici cent ans, si vous avez la fantaisie de vous souvenir de moi ». Des travaux tels que celui de Carme Riera montrent que ce n’est pas le cas, loin s’en faut.

     

* Carme Riera est professeur de littérature espagnole à l’Universitat Autònoma de Barcelone et écrivain. Elle a écrit de nombreux romans en catalan des Baléares (La Meitat de l’ànima) et un célèbre recueil de contes : Te deix, amor, la mar com a penyora. Son œuvre lui a valu plusieurs prix prestigieux comme le Josep Pla, le Ramon Llull  et le Sant Jordi.

1 Clemente Cortejón, « Coro de alabanzas en honor a Cervantes », La Ilustración Artística, Año XXIV, nº1202, 1er janvier 1905, p. 2,

2 Joan Givanel, « Els vensuts yl vencedor », La Esquella de la Torratxa, Any 27, n° 1373, 28 avril 1905, p. 298 : « El nostre temperament fogós, las nostras ilusions sempre quiméricas, la nostra manera de pensar, desgraciadament al dia, són causa de que representém un paper molt trist davant del concert de les nacións europeas ».

3 Fransesch Carreras y Candí, « Les edicions del Quixot a Catalunya », Ilustració Catalana, Any III, nº 86, 22 janvier 1905, p. 53-54.

4 Jesús Beltrán, « Libros de caballería. Una visita de la biblioteca cervantina de Don Isidro Bonsoms », La Vanguardia, 7 mai 1905, p. 2-3.

5 Ignacio Dublé, « Primeras ediciones en lenguas europeas de Don Quijote de la Mancha », La Ilustración Artística, Año XXIV, nº 1201, 1 janvier 1905, p. p. 22-24.

6 El Noticiero Universal, Año IX, n° 2886, 14 mars 1905, « Notas críticas sobre el cap. LXI de la Segunda Parte: De lo que sucedió a Don Quijote en la entrada en Barcelona, con otras que tienen más de lo verdadero que lo discreto » et « ¿Estuvo Cervantes en Barcelona? ¿Cuándo? ».

7 Josep Aldern, « Visita de don Quixot de la Manxa a la Barcelona actual », La Esquella de la Torratxa…, op. cit., p. 276-280.

8 P. del. O. [pseudonyme de Josep Roca], « Cervantes. Tristesas », La Campana de Gracia, Any XXXVI, 6 mai 1905, p. 4.

9 Joachim Aymani, « Don Quixot anticlerical », La Campana de Gracia…, op. cit., p. 6.

10 Sebastián J. Carner, « Cervantes y los Cervantistas », La Hormiga de Oro, Año XXII, nº 18, 6 mai 1905, p. 274.

11 Federico Climent Terrer, « Sancho Panza », La Vanguardia, 7 mai 1905, p. 4-5 : « siempre crédulo, siempre descontento y alucinado ».

12 Josep Ixart, « Un apóstrofe a Sancho », La Vanguardia, 7 mai 1905, p. 6 : « ¡Desgraciado Sancho, que al mirar los molinos, ves molinos, los rebaños, rebaños […]! Ni el placer te queda de embelesarte contemplando como tu señor en fantásticas regiones y en esplendoroso panorama, los altos castillos fabricados en la niebla […] ». Le texte date en réalité de 1878.

13 Santiago Rusiñol, « El Sanxopanxisme », La Esquella de la Torratxa…, op. cit., p. 283-286. C’est l’auteur qui traduit les concepts.

14 Antoni Canet i Vida, « El nostre amich Cervantes », La Veu de Catalunya, Any XV, n°2115, le 21 janvier 1905, p. 1-2.

15 P.K. [Josep Roca], « Un deute per pagar », La Estrella de la Torratxa, Any 27, n° 1373, le 28 avril 1905, p. 294-296. Don Quichotte et Sancho sont accueillis à Barcelone par les mots suivants : « Bienvenu soit à notre ville le miroir, le fanal, l’étoile et le nord de toute la chevalerie errante, celui chez qui elle est contenue le plus largement », DQII, 51, p. 510.

16 Petrus Bofill, « Lúltim Llibre de cavallerias », La Veu de Catalunya…, op. cit., p. 1-2. « Don Quixot va venir y aquí, al caure va començar a recobrar sa perduda rahó ». Cest lauteur qui traduit.

17 A. March [Juli Francesc Gibernau], « Entre ells », La Esquella de la Torratxa…, op. cit., p. 282-283 : « […] la prempsa per aumentar la tirada, els escriptors per exhibir la seva vanitat insuportable, las corporacions per omplirse la casa de senyoras, las senyoras pera lluhir […]. En aquest centenari, las nostras figuras no son més que pretextos, excusas, pantallas darrera de las quals shi amagan la frivolitat, la superbia, la ignorancia y las ganas de farolejar y divertirse. Ni més ni menos ».

18 Pep de la Tralla, « Els Quixots », La Tralla, Any II, n° 67, le 3 février 1905, p. 2.

19 Lleixiu, « Llista de la Bogadera », ¡Cu-Cut!, Any IV, 4 mai 1905, p. 274 : « Quedinsels castellans ab el seu Quijote ».

20 Junceda, ¡Cu-Cut!…, op. cit., p. 277 : « Quan va venir Don Quijote el vam convidar a dinar (siglo XVII) Y avui en dia encara és lhora que sestà a taula menjant (siglo XX) ».

21 « Donde se trata de la más gloriosa de las fazañas que a cabo llevó el ingenioso hidalgo, don Quijote de la Mancha, señor de tierras donde jamás se ponía el sol », La Tralla, Any II, n° 67, 3 février 1905, p. 2.

22 Le mot a de fortes connotations péjoratives en espagnol.

23 « El honor de la patria está en peligro y hemos de luchar por él hasta la muerte. Hemos de probar una vez más que somos nietos de aquel Cid peleador que hizo estremecer al mundo; es preciso que todos acudáis a mi voz, voy dispuesto a derramar la última gota de sangre y última peseta ».

24 Pellicer Montseny, « Yo reinaré », La Campana de Gracia…, op. cit., première page.

25 Alfred Calderón, « Don Quijote anarquista », La Publicidad, Año X, nº 3355, 6 mai 1905 : « Se parece a Zaratustra, sólo Cristo le supera en el menosprecio de la realidad ». Cest lauteur qui traduit.

26 Anselmo Lorenzo, « El Quijote libertario », La Ilustración Obrera, nº 65, 13 mai 1905, p. 292-294.

27 Julio Camba, « El libro y la raza », El Diluvio, Año XLVII, n° 31, 22 avril 1905, p. 242 : « hombres que sueñen, hombres que piensen, que ejecuten ».

28 R. [pseudonyme de Manuel Riu ? ], « El Quixot yl poble castellá », La Tralla…, op. cit., p. 2 : « encarna perfectament el carácter castellá ».

   

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